DÉBAT PUBLIC ET CONCERTATION : CHANGER D’ÉCHELLE
Pascal Nicolle,
président de Débatlab, association nationale des professionnels de la concertation,
directeur associé, La Suite dans les Idées
« Pour le futur, il faudra aussi tirer les leçons de l’échec de Notre-Dame-Des-Landes en termes de débat public, de procédure, de présentation et de discussion des alternatives » : le 17 janvier dernier, les propos du Premier ministre semblent annoncer une nouvelle remise en question. Terrible aveu d’échec des pouvoirs publics qui depuis 50 ans n’ont pas su ou voulu conduire un débat public à la hauteur de ce projet majeur.
Il fait écho à des dizaines de projets avortés ou ratés faute de concertation, comme celui du barrage de Sivens qui a entraîné la dernière et récente réforme dans notre secteur d’activité, avec les deux ordonnances du 3 août 2016 qui entrent en application.1
Il faut dire que la réforme du dialogue environnemental, bénéfique à l’indépendance de la Commission nationale du Débat public comme au développement de concertations préalables, ne recouvre qu’un champ limité : elle concerne davantage de projets mais se concentre sur les plus importants parmi ceux qui ont un impact sur l’environnement – grands projets d’infrastructures (transport, énergie…), plans et schémas directeurs… Elle laisse dans le vide juridique, au bon vouloir des porteurs de projets, la concertation dite facultative.
- Débatlab a participé à l’élaboration de ces ordonnances puis à la concertation sur la Charte de la participation du public. Tous les professionnels et les praticiens peuvent se réjouir de voir le champ de la régulation par la Commission nationale du débat public s’élargir à des concertations de plus en plus nombreuses et surtout de plus en plus « préalable », plus en amont de la réalisation des projets. Mais, même si la Charte affiche des principes applicables de manière assez générale, des dizaines d’autres débats comme les débats de société, notamment ceux lancés ces derniers mois par le gouvernement (États généraux de l’Alimentation, Assises de l’outre-mer, Etats généraux de la bioéthique…) ne rentrent pas dans ce champ de la régulation. Même schéma d’ailleurs pour les débats locaux, les budgets participatifs, les concertations sur les temps péri-scolaires ou sur le stationnement en ville… souvent suspects de manipulation ou vus comme de simples moyens de faire accepter des décisions prises ailleurs ou avant.
- Il reste donc aux professionnels un espace considérable pour concevoir des processus participatifs aptes à peser réellement sur les projets. Des processus dont les données sont suffisamment ouvertes et accessibles au public pour assurer une information complète des parties prenantes sur les enjeux, avec des outils qui permettent la réelle prise en compte et la restitution de tous les avis recueillis en assurant le strict respect des données personnelles des contributeurs. Professionnels de la concertation et porteurs de projet ont le devoir commun d’être responsables et exemplaires s’ils ne veulent pas décourager encore davantage nos concitoyens et les détourner de leur capacité à agir, de leur devenir et des projets qui les concernent.
- Car la crédibilité de ces démarches participatives repose essentiellement sur la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des cabinets et agences-conseils qui les accompagnent. C’est aussi l’engagement de Debatlab : notre association agit pour une professionnalisation des démarches participatives à toutes les échelles, pour des dispositifs offrant la garantie que les points de vue soient tous traités et à égalité, pour l’ouverture des données du débat public comme pour la reconnaissance de notre métier. C’est à nous de faire connaître l’étendue de nos compétences et des prestations que nous pouvons fournir2. C’est aussi notre responsabilité face au climat de défiance démocratique qui perdure.
- Si on veut mener de vraies concertations qui aboutissent à des décisions mieux partagées et des projets plus durables, il est du devoir de la collectivité nationale de développer la culture du débat et de la controverse dès l’école et la culture de la participation, de la co-conception voire de la co-construction, à tous les niveaux de nos organisations publiques comme dans les entreprises.Les professionnels que nous sommes sont les mieux placés pour mener des actions de sensibilisation, de formation en direction des élus locaux, mais aussi des agents publics, des aménageurs, des promoteurs, des bureaux d’étude…
Une autre ambition qui devrait être collective est celle de changer d’échelle et de professionnaliser, d’outiller et d’accompagner les démarches participatives pour qu’elles impliquent beaucoup, beaucoup plus de monde.
- Même si on peut se féliciter que plus de 200 000 personnes ont participé à des enquêtes en ligne en 2017, même si plusieurs milliers d’autres acteurs et habitants ont été associés à des rencontres, des ateliers, des réunions-débats à travers la France, même si ce secteur économique en forte croissance représente plus de cent millions d’euros de chiffre d’affaires annuel de prestations (d’après les premières études du Groupe La Poste), il reste que la démocratie participative devrait changer d’échelle afin d’impliquer plusieurs centaines de milliers de personnes.
- Ne manquent pour y parvenir ni les outils ni les moyens de communication (encore faudrait-il que les médias de masse s’intéressent davantage à ces démarches) ni les réseaux de terrain (même si les réseaux associatifs s’affaiblissent). Il faut un vaste mouvement, porté par l’Etat, les grands maîtres d’ouvrages publics et privés, les élus locaux – accompagnés évidemment des professionnels et de tous les innovateurs démocratiques – pour franchir cette marche supplémentaire et passer à des démarches de participation véritable vers des publics beaucoup plus larges et beaucoup plus populaires.
Il est temps que les maîtres d’ouvrage publics et privés soient conscients de la nécessité de concerter, de le faire davantage en amont, dans un cadre suffisamment professionnel pour éviter tout bricolage et avec des moyens qui donnent de la légitimité et de la force aux projets. Voilà une belle ambition au service de nos concitoyens !
1 L’ordonnance n° 20161058 relative à la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes a fait l’objet du décret n° 2016-1110 du 11 août 2016 et de l’ordonnance n° 20161060 portant réforme des procédures destinées à assurer l’information et la participation du public à l’élaboration de certaines décisions susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement qui a fait l’objet du décret n° 2017-626 du 27 avril 2017
2 Débatlab élabore actuellement un guide d’achat de la prestation de concertation, qui va s’appuyer sur une enquête auprès des professionnels intitulée Débatscope.